Lettre à une fille de New-York
Pour le dernier poème de la saison 2010, j’ai choisi l’ode à une muse du poète congolais Jean-Baptiste Loutard. J’ai découvert cette lettre ainsi que d’autres poèmes dans une petite et belle anthologie consacrée à six poètes du continent africain.
Je t’écris de loin, depuis les bords du Congo
Devant l’île Mbamou ; c’est une motte verte
Qui s’est réfugiée au milieu des eaux
Pour éviter de tourner avec la Terre.
La rue n’est pas loin : elle passe comme le fleuve
Là derrière l’herbe qui semble plus haute
A cause du bruit des cigales.
Les voitures roulent mais n’écrasent aucun souvenir
Je te plains toi, là-bas, dans le désert de béton et d’acier,
Avec les plus beaux rêves des hommes
Dans les havresacs des bandits.
Tu dois avoir peur dans les quartiers perdus
Quand la lune n’est plus au sommet de la nuit.
Que veux tu, la vie n’est pas ronde comme la Terre.
Chaque jour elle s’accroche à quelques épines.
J’ai tous les traits de ton visage au bout de ma plume.
Et tes paroles aussi, vraiment géniales :
« Harlem c’est la Nuit habitée par les nuits. »
Devant moi tu étais parfois l’arbre
Qui couve un génie tranquille,
L’instant d’après la piqûre du rythme
Te prenait à la cheville ;
Tu devenais alors le serpent de mer
Qui remonte à la source par les contorsions des vagues.
Tu brûlais dans mes bras, plus torride
Que le soleil de ma saison pluvieuse.
J’ai vécu avec toi comme le tronc
Qui tient la branche par temps d’orage…
Adieu ! la plume ne suit plus la ligne :
La nuit déjà bout dans le vase des étoiles.
Extrait de Les Normes du temps (1974) in Anthologie six poètes d’Afrique francophone
C’est un beau poème. Une histoire d’amour que l’éloignement géographique a empêché de se poursuivre.
C’est tout à fait chère Brigitte, et je me mets à la place des deux en fait, pour avoir connu les deux situations, celle qui reste, celle qui part !
S’il n’avait été que poète, je l’aurais mis moi aussi dans mon panthéon d’auteurs. Ils sont peu nombreux nos auteurs à laisser parler leurs sentiments. Ils se sont englués dans les écrits politiques mais c’est l’époque qui le voulait sans doute. Joli dessin.
Alph